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Lettre ouverte: "Il était une fois"

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Voici une lettre ouverte que je vous engage à lire:

Il était une fois, il y a longtemps, à Haren, des gens qui cultivaient des jardins potagers et des gens qui occupaient une zone à défendre dans la joie et la bonne humeur. Ils s'écoutaient, apprenaient à planter les pommes de terre, récoltaient en choeur.

Puis l'hiver est arrivé. Certaines gens sont restées, la plupart a déserté. C'est alors que les relations ont dégénéré, lentement mais sûrement. D'abord un gars a eu un coup de folie. Il s'est mis à insulter mon père, puis lui mit un grand coup de poing dans la figure. Sans prévenir et sans raison ... Le visage de mon père tuméfié, en sang et l'oeil au beurre noir... Il y avait un autre gars, une sorte de chef, qui insistait pour ne rien faire et surtout ne pas porter plainte. Il tint à peu près ce langage : "Chacun, même fou ou dangereux, est libre d'être à sa place où il veut. On ne peut pas faire comme à Auschwitz et se débarrasser de qui on veut!" Personne n'a défendu mon père et petit à petit il n'est plus allé dans la zone à défendre.

Et puis ce chef s'est mis en tête de créer un certain mouvement de libération de la chèvre complètement fantasmagorique : des chèvres se promenant tranquillement dans les rues au milieu des voitures et dans les potagers au milieu des choux. "Je ne me bats contre une prison pour enfermer mes chèvres!" Il a lâché les chèvres, elles ont englouti la totalité des choux, des Romanesco et toutes sortes de variétés spéciales et pas données. Le grand luxe. Quand les gens de la zone à défendre ont été expulsés, le chef a abandonné ses chèvres et elles ont été emmenées dans une triste fin. Cette histoire s'est passée il y a longtemps mais elle n'est pas finie. Un petit lopin de terre privé juste à côté de la zone à défendre a été réinvesti. Le chef est revenu. Il se promène devant les jardins potagers avec trois petites chèvres qu'il tient en laisse... Il nargue les gens. Il aime bien les insulter.

Un autre gars va et vient, il casse des choses dans les potagers, il bat son chien. Un jour il arrive vers nous, il plante sa hache dans un piquet, il veut de la bière, il veut tuer des gens, il s'excuse de sa violence verbale, il s'en va. On ne le voit plus pour l'instant. Le matériel qui sert à protéger du passage ou à récupérer l'eau de pluie a été volé ou abîmé. Même si les gens des potagers pensent parfois que c'est une vengeance ou un appel à la haine, ils essaient de rester zen, reprennent leur courage en main et réparent. Le chemin du Keelbeek est devenu un endroit mal aimé et maltraité. Il y a par exemple des gens qui s'essuient ou essuient leur chien, je ne sais pas, avec des lingettes... Les lingettes bordent le chemin, s'envolent avec le vent et viennent s'échouer dans les salades.

Quelle poésie! Mais voilà le pire qui arrive. Depuis quelques temps, les légumes dans les potagers disparaissent les uns après les autres. Des personnes de la zone à défendre viennent se servir en douce, la nuit peut-être et en tout cas quand il n'y a personne, pour nourrir les gens de Bruxelles et d'ailleurs en festoyant joyeusement. Un jour, prises sur le fait accompli, ces personnes ont prétexté que puisque la terre est à tout le monde, se servir est à l'aise. Se servir est à leur aise, mais je les invite à savoir ce qui suit : "Si la terre est à tout le monde, elle est à chacun. Récolter les bénéfices du travail des autres sans rien faire n'est autre chose que de l'exploitation!" (Citation d'Alice Lens Rowe, que je remercie.) Ce qui est moche dans l'histoire, c'est que tout le monde sait que les gens des potagers n'auraient pas refusé quelques légumes aux zadistes qui seraient venu.e.s les demander. Mon père, par exemple, a toujours été très généreux avec beaucoup de monde... Peut-être trop? Maintenant ils et elles croient que tout est ouvert, permis, qu'il n'y a plus rien de précieux, plus de règles de vivre ensemble à respecter. Ceux et celles qui veulent bien respecter leur voisinage seraient peut-être les bienvenu.e.s pour enlever quelques mauvaises herbes en échange d'un peu trop de légumes - s'il y en a - et de conseils sur la culture du poireau par exemple, au lieu de venir arracher des tout jeunes plants qui n'ont pas commencé à pousser. Ce n'est pas comme si les personnes qui cultivent ces petits jardins produisaient des tonnes pour faire du business. C'est leur nourriture. Ils travaillent dur et ça leur coûte souvent. Que les personnes qui par amour de la nature voudraient bien respecter leur terre ne se gênent pas pour faire comme à la maison et ramasser ce qu'elles ou je ne sais qui laissent de saletés et autres bizarreries.

Si la police ("C'est un terrain privé...") et le comité de quartier ("Oui on sait... Allez, courage!") ne peuvent et ne veulent rien faire, au moins la ville fait encore ramasser les sacs poubelles deux fois par semaine... Pour finir, si quelques un.e.s espèrent toujours que la prison ne se fera pas, qu'ils et elles sachent aussi que des promoteurs immobiliers ont en vue ces lieux cultivés. Obliger les cultivateurs à construire des clôtures, les décourager par des actes malveillants, voler leur nourriture risque bien de permettre à ces promoteurs d'obtenir ce qu'ils veulent et d'amener la construction de la prison comme un espoir de protection. Autrement dit d'amener le désespoir.

J'espère que les zadistes feront leur possible pour respecter leur entourage, leur environnement. J'espère qu'il n'y aura plus de vols, que tout ça ne finira pas en discussions interminables, insultes, bagarres à la casserole ou à la fourche. J'espère que la fin de l'histoire sera heureuse.

Amélie Mélo

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